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Le Service de sécurité incendie de Montréal visé par une plainte devant la Commission des droits de la personne

Améli Pineda et Stéphanie Vallet, 30 octobre 2023

Excédés par un récent événement raciste dans une caserne montréalaise, deux pompiers noirs ont déposé une plainte pour racisme et discrimination systémiques à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) contre le Service de sécurité incendie de Montréal (SIM), la Ville de Montréal et l’Association des pompiers de Montréal (ADPM). Ils réclament la tenue d’une enquête sur le traitement différentiel auquel seraient exposés les pompiers issus de la diversité ainsi que des excuses publiques de la part du SIM pour ce qu’ils ont vécu.
« La discrimination et le harcèlement racial de nature systémique qu’ont vécus les victimes depuis leur entrée en poste au SIM se poursuivent toujours », peut-on lire dans le document déposé par le groupe Coalition rouge, qui milite contre le profilage racial.
Alberto Syllion et Jean-Alain Cameau, deux pompiers d’origine haïtienne comptant respectivement 15 et 13 ans d’expérience, estiment n’avoir pu à ce jour réussir à trouver une caserne où ils se sentent à leur place.
« Je dois en venir à l’évidence que le changement de culture au sein du SIM ne pourra s’effectuer que par l’intervention d’une entité externe telle que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse afin de mener une enquête systémique sur le racisme et la discrimination qui existent depuis des années à l’intérieur de cette organisation », témoigne M. Syllion.
Dans leurs témoignages respectifs envoyés en complément de leur plainte, les deux pompiers racontent avoir vécu et avoir vu de nombreux événements à caractère raciste et discriminatoire dès leur première journée de travail au SIM. Jean-Alain Cameau aurait été accueilli par un pompier qui lui a lancé « Un crisse de nègre ! ». Alberto Syllion ne compte plus les blagues sur les minorités visibles entendues dès ses débuts, « Toi, tu es un bon Noir parce qu’on peut faire des jokes de nègre devant toi sans que tu te fâches », peut-on lire.
« La goutte qui a fait déborder le vase » s’est produite à la mi-octobre, selon les documents. Le pompier, qui est considéré comme un ambassadeur du Bureau de l’équité, de la diversité et de l’inclusion du SIM, a appris que le mot en n a été utilisé à répétition en présence d’un jeune pompier noir par un lieutenant de la caserne 71, dans l’arrondissement de Saint-Laurent.
M. Syllion rapporte que le jeune pompier l’avait déjà contacté un an et demi plus tôt, soit en mai 2022, afin de lui faire part du vocabulaire raciste utilisé par son supérieur. La situation aurait alors été signalée au capitaine de la caserne, mais la recrue n’aurait pas voulu porter plainte. Puis, le 14 octobre dernier, la situation aurait dérapé à nouveau. « La recrue me contacte cette fois en détresse, et il me dit que son lieutenant a recommencé à utiliser le terme raciste de façon plus fréquente depuis quelques semaines et le provoque en faisant des jeux de mots. Il me dit que cela a eu lieu si souvent ces derniers temps qu’un autre pompier lui a suggéré d’aller parler à nouveau seul à seul avec le lieutenant pour lui demander d’arrêter. Le cadet a pris le lieutenant à part et lui a dit sa façon de penser en insistant sur le caractère raciste, déshumanisant et le manque de respect. Le lieutenant a répété le mot en n à maintes reprises face à lui en disant que ce n’était rien de grave puisque c’est sa façon de s’exprimer », indique M. Syllion dans son témoignage accompagnant la plainte déposée devant la CDPDJ.
Alerté de la situation, le capitaine de caserne aurait demandé à la recrue, devant ses collègues, s’il était à l’aise de continuer le quart de travail avec le lieutenant ou s’il préférait que ce dernier aille effectuer des remplacements ailleurs. « Au téléphone, le cadet me dit que le chef n’aurait pas dû lui transférer la responsabilité de prendre la décision et […] que le lieutenant n’a eu aucune conséquence immédiate puisqu’il travaillait le lendemain en temps supplémentaire de surcroît », mentionne M. Syllion dans son témoignage.
Constatant que la politique Tolérance zéro n’a pas été respectée, M. Syllion décide de se présenter dès le lendemain à la caserne.
Placé face à ses propos, le lieutenant ne nie pas avoir prononcé le mot en n et admet avoir d’abord invoqué son droit à la liberté d’expression, peut-on entendre dans un enregistrement audio de leur conversation que Le Devoir a pu écouter.
« Je pensais que le chef allait sévir et respecter la politique de Tolérance zéro que le service et la Ville en général aiment tellement brandir… Déçu et humilié, je suis parti de la caserne », précise Alberto Syllion dans son témoignage, déçu que le chef n’ait suspendu le lieutenant que deux jours après que l’incident lui eut été rapporté.
La Ville de Montréal estime que « des actions ont rapidement été entreprises ». « Le lundi 16 octobre 2023, il a été décidé de relever de ses fonctions temporairement l’employé visé par les allégations pour fins d’enquête. L’enquête est terminée, et l’employé qui a tenu les propos allégués a été sanctionné », a indiqué le responsable des relations avec les médias Gonzalo Nuñez, qui précise que les dirigeants ont rencontré le personnel de la caserne « afin de réitérer que toute forme de racisme et de discrimination est inacceptable et [que] c’est tolérance zéro ».
Une enquête demandée
 Selon les deux pompiers, l’inaction du SIM, de la Ville de Montréal et de l’ADPM prive encore les employés issus de la diversité de leur droit à la dignité, à l’honneur et à la réputation garanti par la Charte des droits et libertés.
En plus d’excuses publiques, les plaignants demandent à la CDPDJ d’ordonner une enquête sur la discrimination intentionnelle et systémique ainsi que sur le traitement différentiel auxquels seraient exposés les pompiers issus de la diversité. Ils espèrent également une révision des politiques et des pratiques qui viendrait éliminer et prévenir la discrimination basée, entre autres, sur la race.
Les deux hommes réclament chacun 40 000 $ pour les lésions professionnelles subies depuis leur entrée dans les rangs du SIM.
Les plaignants estiment également que le syndicat des pompiers « a contrevenu et continue de contrevenir à l’article 17 de la Charte en exerçant de la discrimination envers les victimes et les autres employés noirs et racisés du SIM, en ne les défendant pas contre le racisme et la discrimination systémique ».
L’ADPM a fait savoir au Devoir qu’il « déplore ce type d’incident invoqué par les plaignants ; toute référence à des propos de nature raciste ou discriminatoire ne faisant pas partie des valeurs de l’Association, autant que de celles de son président », a indiqué par écrit le président, Chris Ross, qui entend bien collaborer à l’enquête.
En mars dernier, Le Devoir avait rapporté les témoignages de pompiers du SIM dénonçant les propos racistes, les humiliations et le harcèlement qu’ils vivaient à leur caserne ainsi que le système de plainte, défaillant selon eux. Quelques mois plus tard, la Ville de Montréal avait annoncé la mise sur pied d’un guichet unique pour recevoir les plaintes de ses employés en matière de racisme et de discrimination. La Centrale d’accompagnement du personnel en matière de plaintes, nouvellement créée, sera ainsi fonctionnelle à compter du 4 décembre. Les enquêtes seront pour leur part menées par la Commission de la fonction publique de Montréal (CFPM), et non plus par la division des ressources humaines.
La Coalition rouge dénonce pour sa part le manque d’indépendance de la CFPM et le fait qu’elle n’ait qu’un pouvoir de recommandation auprès de la Ville dans ces dossiers.

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